Compte tenu du nombre impressionnant d’articles publiés par la presse française et étrangère sur Annie Ernaux, première romancière française sacrée hier prix Nobel de littérature, Women eLife est fort dépourvu de ne pas avoir la primeur de se faire l’écho du succès remporté par cette autrice.
À 82 ans, Annie Ernaux qui n’hésite pas à se déclarer féministe, a su tout, au long de ses romans, être la voix de la liberté des femmes et des oubliés du siècle.
Il n’est donc guère surprenant que pour expliquer son choix, l’Académie suédoise ait déclaré qu’Ernaux « examine de manière cohérente et sous des angles différents, une vie marquée par de fortes disparités en matière de sexe, de langue et de classe ».
Ses courts romans au style dépouillé, parfois qualifié de violent, qui mettent en avant ses histoires personnelles sous la forme d’autofictions, explorent des expériences et des sentiments profondément personnels – l’amour, le sexe, l’avortement, la honte – dans un réseau changeant de relations sociales.
Si cette femme décrit son style comme une « écriture plate » – témoignant d’une vision très objective des événements qu’elle décrit, non façonnée par une description fleurie ou des émotions accablantes, son matériel d’inspiration est issu de ses expériences d’éducation dans une famille ouvrière de la région normande du nord-ouest de la France.
Après avoir nourri jusqu’à 22 ans ses carnets intimes, son véritable parcours de romancière a démarré discrètement. C’est en 1974 qu’elle fait son entrée en littérature avec Les Armoires vides, un roman purement autobiographique.
Mais c’est avec « La Femme gelée », un roman sur la condition «normale» d’une femme mariée et mère de famille rangée, dans les années 1960, qu’elle adopte son style d’écriture auquel elle restera fidèle.
En 1984 son roman « La Place », qui remporte le prix Renaudot s’inscrit comme un classique au Collège.
De sa vie en Normandie, et de ses origines modestes, elle ne s’est jamais départie de son regard sur la condition féminine.
En 1992, la parution de « Passion simple » marque un tournant. Elle y dévoile, sans fards, sa brève et fougueuse liaison amoureuse avec un homme marié, un diplomate russe en poste à Paris.
Ensuite, Annie Ernaux est allée de succès en succès.
Les Années, vaste fresque qui court de l’après-guerre à nos jours, publiée en 2008, est récompensée en 2008 et 2009 par plusieurs prix.
Cette même année 2008, elle reçoit le Prix de la langue française pour l’ensemble de son œuvre.
En 2011, Annie Ernaux publie L’Autre Fille, une lettre adressée à sa sœur, décédée avant sa naissance, ainsi que L’Atelier noir, qui rassemble différents carnets d’écriture constitués de notes, de plans et de réflexions liées à la rédaction de ses ouvrages. La même année, une anthologie intitulée Écrire la vie paraît dans la collection « Quarto ». Elle rassemble la plupart de ses écrits autobiographiques et propose un cahier d’une centaine de pages, composé de photos et d’extraits de son journal intime inédit.
Impossible de passer sous silence « Le Jeune homme », une histoire de sa liaison éphémère de femme mûre avec un étudiant.
En avril 2016, avec « Mémoire de fille », elle se penche sur l’année de ses 18 ans, lorsqu’elle a ses premières relations sexuelles pendant une colonie de vacances dans l’Orne — expérience qui restera pour elle, comme elle l’écrit dans l’ouvrage, « la grande mémoire de la honte, plus minutieuse, plus intraitable que n’importe quelle autre ». Son œuvre aborde fréquemment des thèmes féministes.
Toujours est-il qu’en 2017, le prix Marguerite-Yourcenar lui est décerné par la Société civile des auteurs multimédia, pour l’ensemble de son œuvre.
Ethnologue d’elle-même, ses liens étroits avec la sociologie sont perceptibles.
Outre l’influence qu’a eu sur elle Simone de Beauvoir avec son un essai existentialiste et féministe « Deuxième Sexe », elle reconnaîtra plus tard celle qu’ont eue les textes de Pierre Bourdieu – l’un des sociologues les plus importants de la seconde moitié du XX e siècle – qui l’amèneront à déclarer : Ils ont été pour moi un encouragement à persévérer dans mon entreprise d’écriture, à dire, entre autres, ce qu’il nommait le refoulé social».
En devenant jeudi 6 octobre 2022 la dix-septième femme sur les 114 prix Nobel de littérature qui ont été remis depuis 1901, confirmation est apportée de l’indéniable talent de Annie Ernaux qu’il est possible de qualifier politiquement d’Insoumise.
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