Au moment où se tiennent en Inde, durant 44 jours, les élections législatives de 2024, et sans attendre le 1er juin pour savoir si le Premier ministre sortant, Narendra Modi, qui se présente pour un troisième mandat consécutif, sera réélu, une question maudite se pose.
Car, depuis son arrivée au pouvoir en 2014, les correspondants étrangers en Inde, mais aussi les journalistes indiens, sont confrontés à une pression croissante de la part du gouvernement concernant leurs reportages.
Tout en sachant que près de 970 millions d’électeurs sont appelés aux urnes, le contrôle accru des médias dénoncé par Kunal Majumder, le représentant du Comité de protection des journalistes, ainsi que par Reporters sans frontières qui déclare qu’en Inde « la liberté de la presse est en crise », conduit à s’interroger sur les réalités d’un pouvoir qui se prétend démocratique.
Cette situation qui n’est pas une première, met aujourd’hui au-devant de la scène, Avani Dias, correspondante pour l’Asie du Sud de la chaîne nationale australienne ABC, depuis janvier 2022.
Après que ses reportages aient été critiqués par le gouvernement indien, cette dernière a été forcée de quitter l’Inde.
En cause, l’épisode d’une série diffusée sur Youtube qui couvrait le meurtre au Canada l’année dernière, de Hardeep Singh Nijjar, un séparatiste sikh.
Le Canada a accusé le gouvernement indien d’être impliqué dans son meurtre, tendant ainsi les relations entre les deux nations.
Les informations sur la mort de Hardeep Singh Nijjar, le mouvement séparatiste sikh et la manière dont les autres minorités religieuses sont traitées ont d’ailleurs fait l’objet d’ordres de retrait.
Accusée d’être allé trop loin dans son travail d’enquête, le gouvernement indien a tout d’abord refusé à Avani Dias, le renouvellement de son visa suite à un épisode de Foreign Correspondent, le programme d’information international phare d’ABC.
Dans cette série en sept parties, Avani Dias parcourait l’Inde à la recherche de réponses sur qui est réellement Narendra Modi et comment il a façonné la nation la plus peuplée du monde.
Bien que l’Australie ait fait pression sur l’Inde en faveur de Dias, et qu’en moins de 24 heures avant son départ et celui de son partenaire du pays, le gouvernement indien ait annulé sa décision et renouvelé son visa pour deux mois, Dias a déclaré qu’il lui serait trop difficile, pour ne pas dire impossible, de poursuivre son travail de journaliste indépendante. Aussi est-elle rentrée en Australie ce week-end.
Il est important de retenir qu’en Inde, c’est le gouvernement indien qui délivre les licences et peut les annuler quand il le souhaite. Il peut même vous censurer en invoquant telle ou telle loi.
Les critiques du gouvernement sont souvent taxées d’anti-nationalistes et sont régulièrement mises en garde contre les contenus qui « promeuvent des attitudes anti-nationales ».
Sous le régime de Narendra Modi, la criminalisation des journalistes, via l’utilisation croissante des lois pénales à leur encontre, et particulièrement le recours aux lois sécuritaires, c’est-à-dire aux lois antiterroristes ou aux lois sur la sédition sont courantes. Outre les raids organisés dans les médias qui critiquent le gouvernement, les journalistes sont souvent pris pour cible, que ce soit par le biais de trolls, de harcèlement, de menaces ou même de doxing, en particulier pour les femmes », explique Kunal Majumder.
Avani Dias, a estimé que le gouvernement indien lui avait rendu « trop difficile » de continuer à faire son travail, affirmant qu’il l’empêchait d’accéder aux événements, et avait émis des avis de retrait à YouTube pour ses reportages, puis lui a refusé les laissez-passer dont elle avait besoin pour couvrir les élections.
Les titulaires de visas de journalistes étrangers ont également un accès restreint à de vastes étendues du pays, y compris la région agitée du Cachemire.
L’année dernière, les bureaux de la BBC ont été perquisitionnés à Delhi et à Mumbai par les autorités fiscales indiennes après la diffusion d’un documentaire examinant le rôle de Modi dans les émeutes du Gujarat en 2001, au cours desquelles près de 800 musulmans avaient été tués alors qu’il était ministre en chef.
Face à l’impossibilité d’exercer son métier, Avani Dias, n’est pas la première journaliste à quitter l’Inde.
En janvier, Vanessa Dougnac, une journaliste française qui vivait en Inde depuis 22 ans, a déclaré avoir quitté le pays après que le gouvernement lui ait refusé l’autorisation de travailler comme journaliste, ses reportages donnant une « perception négative biaisée de l’Inde ».
Alors que M. Modi et le parti nationaliste hindou Bharatiya Janata (BJP) détiennent une majorité écrasante des sièges au Parlement, les élections législatives marathon permettraient en cas de victoire de l’actuel Premier ministre d’occuper le pouvoir pendant 15 ans.
Mais pour y parvenir, il sait qu’en dehors de l’éviction de toute critique par voie de presse, il lui faut convaincre une foule éprise de doutes concernant sa politique.