Pour parler de ce sujet en toute connaissance de cause, il faut avoir été témoin de ces actes de violence inqualifiables commis par certains hommes sur des femmes.
Les scènes authentiques décrites dans cette chronique renforcent la légitimité des préoccupations et requêtes des femmes qui dénoncent haut et fort les féminicides. Un terme qui bien que sans valeur juridique, traduit les fins tragiques de longs calvaires, trop souvent insoupçonnés voire plus ou moins volontairement passés sous silence.
Les faits relatés dans cette chronique épistolaire qui ramènent plus de 40 ans en arrière, n’ont malheureusement rien perdu de leur actualité.
CONTEXTE
Jeune journaliste pour deux publications : « L’Officiel des plastiques et du caoutchouc » et « Béton industriel » en régie à l’OGPP, au 48,rue de la Bienfaisance, dans le 8e arrondissement à Paris, j’ai été amené à constater à l’époque ce que je ne concevais pas un seul instant pouvoir exister.
Ladite entreprise n’employait que peu de personnel, ce qui contribuait à lui conférer une ambiance familiale, tout le monde étant amené à se croiser et donc à se connaître un tant soit peu.
Parmi le personnel, deux jeunes femmes d’une vingtaine d’années, occupaient des fonctions d’assistantes de direction dans des services différents.
Tout était cool, bon enfant !
En travaillant dans cette société, je n’imaginais pas devoir découvrir ce qu’une jeune femme pouvait avoir à endurer une fois rentrée chez elle.
Il me fallut un temps certain pour m’en rendre compte.
L’une d’elles disposait d’une personnalité et d’une allure séduisantes sans ostentation.
Dans les premiers temps, attaché à effectuer les missions qui m’étaient confiées en ce début de carrière, j’avais plus souvent le nez sur mes écrits et agitais mes neurones à la recherche d’informations.
Le Minitel faisait ses premiers galops, et la machine à écrire à boule lancée par IBM, était encore considérée comme un équipement de luxe.
J’avais la chance de voyager souvent à l’étranger en compagnie de mon patron, un homme d’une soixantaine d’années, très jovial et vieille école.
A l’occasion de nos déplacements, il me conseillait toujours de ne rien manquer lors de buffets et autres festivités organisés par des firmes soucieuses de promouvoir au mieux leurs produits ou services. En ce temps là, les entreprises françaises comme étrangères, n’hésitaient pas à mettre les petits plats dans les grands lors de réceptions de journalistes. Un jour en Allemagne , un autre en Italie, en Espagne, en Autriche, je voyageais beaucoup et m’en trouvais fort aise.
Une fois de retour au bureau, Denise, une secrétaire proche de l’âge de la retraite, ne manquait jamais de discuter avec moi afin de savoir comment c’étaient déroulés le voyage et l’opération presse proprement dite.
Elle s’intéressait à beaucoup de choses, bien que maugréant un patron parfois grognon et emporté. Il est vrai qu’il avait la voix forte ! Mais ce n’était chez cet homme qu’un trait de sa personnalité. Car il était d’une gentillesse sans pareil. Il aimait surtout se faire remarquer. Lors des conférences de presse, c’était toujours le premier à se saisir d’un micro pour poser la première question. Il avait une solide réputation et je l’admirais.
Cet homme marié et père d’une jeune fille était éminemment respectable.
En réalité, contrairement à ce que pourrait laisser imaginer cette présentation du décors, ce n’est pas de cet homme dont il est ici question.
LES FAITS
Ayant pris mes marques au sein de cette entreprise de presse et de publicité, une situation vint néanmoins un jour m’interpeller et me choquer.
La séduisante jeune femme succinctement évoquée plus haut, avait pour prénom Danielle. Souvent, elle arrivait arborant le sourire, avec ou sans maquillage, ce dernier faisant davantage office de masque. Car de plus en plus fréquemment, elle se faisait extrêmement discrète, filant telle une ombre jusqu’à son bureau.
A l’instar de tous les membres du personnel, une fois passées les courtoisies d’usage du « Bonjour ça va » , elle gagnait aussi discrètement que possible son poste de travail.
Le port de lunettes noires masquant son regard que j’étais amené à constater de plus en plus souvent, trouva assez vite une explication.
Car en dépit du maquillage que cette jeune femme prenait soin d’apposer sur son visage, ce dernier n’effaçait qu’en partie des marques de blessures. Des marques de coups !
Naïf, je comprenais mal comment cette jolie jeune femme pouvait se montrer aussi maladroite dans ses tâches domestiques. D’autant que ses yeux au beurre noir notamment étaient encore plus visibles le lundi matin.
Quelque peu stupéfait de voir une jeune femme contrainte de cacher son visage et d’entourer son cou d’un foulard, je voulu un jour en savoir plus.
Et comme ma secrétaire avait pour pratique de déjeuner avec elle rapidement à l’écart sur un coin de bureau, tout en discutant boulot, je pris l’initiative d’interroger Denise, pour tenter de comprendre ce qui arrivait à cette jeune femme.
Cette dernière allait alors me révéler la vérité, visiblement empreinte d’un sentiment d’indignation mêlé de tristesse.
REVELATION
Battue régulièrement et fort violemment par son conjoint, j’appris alors que la jeune femme en question se trouvait victime d’actes de violence de la part de son compagnon. Jaloux, alcoolique notoire et sans doute atteint de troubles névrotiques, cet homme infligeait régulièrement des sévices corporels à sa compagne.
Ma secrétaire que j’avais interrogé sur le caractère aussi incompréhensible qu’insupportable de cette situation avait coutume de condamner de tels actes de violences.
Pourquoi cette jeune femme ne quittait elle pas son bourreau ?
Cette question m’est venue à l’esprit à maintes reprises.
Comment une aussi jolie jeune femme pouvait elle se laisser défigurer régulièrement par un individu sans vergogne ?
Comment expliquer qu’elle ne porte pas plainte ?
Il est vrai qu’elle savait effacer très vite sa détresse, comme résignée de toujours devoir subir !
Face à cette vision insupportable d’une personne meurtrie parce qu’accablée de coups et sans doute d’insultes, un jour je dus prendre l’initiative d’ intervenir.
Mais elle me déclarait toujours lors de brefs échanges que ce n’était rien. Qu’il ne fallait pas s’inquiéter. Que c’était ainsi la vie : des hauts et des bas !
Jusqu’au jour où voyant une nouvelle fois son visage tuméfié et son cou marqué de lacérations, j’ai dit Stop !
Ca suffit !
EPILOGUE
Les choses allant visiblement de mal en pis, et voyant cette personne en état destroy, j’en vins un jour par lui proposer concrètement de l’aide.
Un jour, elle finit par accepter.
Elle me laissa son adresse et deux hommes de confiance auxquels je savais pouvoir faire appel parvinrent à la sortir définitivement de l’enfer.
Cette jeune femme au courage immense est finalement devenue plus tard une fidèle compagne qui a donné naissance à un fils et partagé bien des choses d’une vie agitée au bon sens du terme. Elle s’engagea pour des causes humanitaires et mis sa générosité et ses compétences au service de jeunes adultes autistes.
Décédée en 2011 des suites d’une très longue maladie, jamais elle n’a évoqué ce qu’elle avait été amenée à endurer. Elle a gardé cette sinistre période traumatisante de son existence cachée au fond de sa mémoire. Elle aurait pu être l’une des victimes de féminicide.
Mais à l’époque des faits, les femmes victimes d’actes violents de la part de maris, conjoints ou ex, ne manifestaient pas encore dans les rues pour dénoncer les violences. Elles n’allaient même pas porter plainte, tant la démarche apparaissait vouée à des fins de non recevoir et autres quolibets.
La société n’avait pas pris conscience des risques encourus.
Ce sujet de société n’était pas inscrit au rang de priorité par le gouvernement.
Les femmes se réfugiaient dans leur univers insupportable sans mot dire.
Aujourd’hui, cette époque est révolue !
Plus jamais çà !
Pour Women e-Life
NB : Merci à celles et ceux qui auront pris le temps de lire cette chronique.