Pour peu que vous fassiez partie des 15,15 millions de téléspectateurs et téléspectatrices qui ont suivi le débat de l’entre-deux-tours, vous devez vous rendre à l’évidence.
Du féminisme, du droit des femmes, ou encore de féminicides, il n’a quasiment pas été question.
Surprenant dans la mesure où le Président candidat avait déclaré vouloir faire de l’égalité entre les femmes et les hommes la grande cause de son quinquennat.
Mais le trop rapide survol de ce sujet par Emmanuel Macron comme par Marine Le Pen a pu vous décevoir et vous laisser sur votre faim. Vous auriez certainement aimé en savoir plus.
L’occasion de revenir sur une très récente enquête menée par l’Ifop en partenariat avec le magazine ELLE auprès des Françaises sur la question du genre et du féminisme dans leur vote au second tour de l’élection présidentielle.
Menée du 11 au 13 avril 2022, auprès d’un échantillon national représentatif de 1 039 femmes âgées de 18 ans et plus, cette dernière permet tout d’abord de rappeler que l‘électorat féminin représente 53% du corps électoral. Autrement dit, les votes des femmes ne peuvent en aucun cas être considérés comme quantité négligeable.
Mais en dépit des moyens mis en œuvre depuis 2017 pour lutter contre la discrimination sexiste, les violences conjugales; renforcer les peines infligées aux auteurs d’actes condamnables, augmenter les moyens mis à la disposition de la police et de la justice pour faciliter les dépôts de plainte de victimes, mais aussi offrir une sécurité et un hébergement en lieu sûr, les déceptions et les critiques des féministes en la matière ont profondément écorné l’image de celui qui s’était présenté comme « le candidat des femmes ».
Dans le cadre de l’enquête menée par l’Ifop avant que le débat de l’entre-deux-tours n’ait lieu, les réponses apportées par les femmes qui ont été interrogées retiennent l’attention :
À la question : Vous avez indiqué avoir l’intention de voter pour Marine Le Pen. Est-ce que le fait que Marine Le Pen soit une femme est de nature à vous inciter à voter pour elle ?
43% répondent que que le fait que Marine Le Pen soit une femme joue dans leurs votes en sa faveur.
Et lorsque la même question est posée concernant Emmanuel Macron pour lequel les femmes indiquent avoir l’intention de voter autrement dit si le fait qu’il s’agisse d’un homme est de nature à inciter à voter pour lui,
les femmes ne sont que 26% à se déclarer prêtes à voter en sa faveur.
Alors bien sûr, ce sujet qui s’est inscrit parmi les 8 thèmes dominants d’un débat qui a duré trois heures, n’a pas plus permis au président-candidat qu’à la candidate du Rassemblement national de réellement traiter l’égalité homme femme comme il aurait été souhaitable. Emmanuel Macron a confirmé son intention s’il est réélu pour un second mandat, d’intensifier les actions déjà entreprises par son gouvernement. Mais Marine Le Pen n’a visiblement pas su se positionner clairement, les mots féminisme comme féminicide ou encore l’égalité salariale à compétence égale, étant restés masqués par d’autres sujets.
On peut donc s’étonner que les résultats de l’enquête Ifop/ELLE révèlent que le nombre d’électrices qui trouvent que Marine Le Pen est « féministe » est nettement supérieur (49%) à la proportion de femmes qui qualifient Emmanuel Macron de « féministe » (30%).
Toutefois, ils montrent aussi que les femmes les plus conscientisées sur ces enjeux – celles qui se disent « très féministes » – sont moins nombreuses à lui reconnaitre cette étiquette de « féministe » (29%), signe que le jugement des Françaises dépend beaucoup de leur degré d’engagement et d’information sur ces sujets.
Quoi qu’il en soit, la perspective de voir la candidate nationaliste élue à la présidence de la République suscite de moins en moins d’inquiétude dans l’électorat féminin : moins d’une électrice sur trois (31%) se disent aujourd’hui inquiètes pour leurs droits si elle parvenait à l’Elysée, contre 41% en octobre 2021 (-10 points)
Marine Le Pen tire profit à la fois de son genre et des effets d’une rhétorique « fémonationaliste » qui tend à attribuer les violences sexuelles aux seuls immigrés
Le hiatus entre l’image que Marine Le Pen renvoie auprès des femmes et la réalité de son programme en leur faveur s’explique par plusieurs facteurs.
Son discours semble en effet la rendre plus crédible que son concurrent sur les questions des violences faites aux femmes si l’on se fie à la proportion de Françaises qui lui font davantage confiance pour lutter contre le harcèlement de rue (51% contre 34% à Emmanuel Macron), les violences sexuelles (48% contre 36%) ou les violences conjugales (48% contre 36%). Les électrices font en revanche plus confiance à Emmanuel Macron qu’à la candidate RN pour lutter contre la haine contre les LGBT (50% contre 29%), s’opposer aux stéréotypes de genre (46% contre 40%) ou améliorer l’accès à la contraception et à la santé sexuelle (45% contre 41%).
Il faut sans doute y voir le fruit de l’action du président sortant qui, à travers différentes mesures (ex : élargissement de la PMA aux couples lesbiens, allongement du congé paternité, gratuité de la contraception pour les moins de 25 ans…), a pu « gauchiser » son bilan sociétal en fin de quinquennat et ainsi continuer à accoler au macronisme l’étiquette porteuse de progressisme.
Par ailleurs, la bonne image de Marine Le Pen auprès de l’électorat féminin semble aussi tenir au genre d’une candidate qui a beaucoup joué la carte de la féminité et de la mère de famille dans ses documents de campagne (ex : affiches, tracts…) comme dans certaines émissions TV (ex : Une ambition intime sur M6).
Ainsi, aujourd’hui, 43% de ses potentielles électrices déclarent que le fait qu’elle « soit une femme joue dans leur vote en sa faveur », les jeunes étant les plus sensibles à ce critère dans leur choix de vote.
A titre de comparaison, les électrices macronistes sont quasiment deux fois moins nombreuses (26%) à dire que fait que « Emmanuel Macron soit un homme joue dans leur vote en sa faveur ». Pour une candidate RN qui revendique son statut de « femme d’État » – son slogan – autant que celui de mère célibataire, sa féminité constitue donc dans la campagne présidentielle un indéniable atout qu’elle n’a d’ailleurs pas su utiliser lors du débat.
Quel que soit le résultat du second tour, deux choses importantes méritent d’être retenues.
La place des droits des femmes et de la lutte contre le sexisme dans les déterminants du vote féminin du premier tour n’a pas plus pesé en 2022 (48%) qu’en 2017 (47%), cet enjeu arrivant très loin derrière des thématiques comme le pouvoir d’achat (71%), l’insécurité (60%) ou la lutte contre la précarité (60%).
Au second tour, cette question risque de peser encore moins dans la structuration du vote féminin si l’on en juge par la faible proportion d’électrices pour qui le droit des femmes sera déterminant dans leur vote au 2e tour : 23%, dont 35% chez les femmes de moins de 25 ans.
Pour conclure, une femme élue présidente de la République française, ce n’est pas pour demain.
En revanche, qu’une femme puisse devenir Première ministre n’est pas à exclure.