LES SAGES CRITIQUENT LA POLITIQUE FRANÇAISE EN MATIÈRE D’ÉGALITÉ HOMME-FEMME

Bien qu’inscrite en tant que «grande cause nationale» lors du premier quinquennat d’Emmanuel Macron et toujours au programme durant le second, tout tend à démontrer que la politique de l’État menée au sujet de l’égalité homme-femme souffre de bien des ratés.

Présidée depuis juin 2020 par Pierre Moscovici, la Cour des comptes dont la composition respecte la parité, livre pour la première fois, ce jeudi, ses conclusions et recommandations sur ce thème dans un rapport peu flatteur.

Les travaux entrepris par les sages magistrats, répondent à une demande citoyenne formulée sur la plateforme ouverte par l’institution au printemps 2022.

Si les rapports de la Cour des comptes n’ont pas de caractère contraignant, ces derniers n’en demeurent pas moins porteurs de remarques et suggestions auxquelles le président de la République comme le gouvernement dirigé par Elisabeth Borne, ne peuvent rester insensibles.

Alors, qu’est-il reproché ?

Au-delà des louables intentions et d’une indéniable mobilisation visant à parvenir à l’égalité homme femme, ledit rapport met en évidence de nombreux points négatifs, qu’il s’agisse de l’absence de stratégie nationale globale, d’un manque de pilotage efficace, d’erreurs de méthode», ainsi que des avancées limitées.

Or, depuis 2017, une forte demande sociale d’égalité entre les femmes et les hommes s’exprime, motivée par la persistance d’inégalités et concomitante de la montée en puissance du mouvement #MeToo, se manifeste.
De plus, les violences faites aux femmes, notamment conjugales, qui ont fait l’objet d’une sensibilité particulière accentuée lors de la crise sanitaire, perdurent.

En dépit de la parution d’une diversité de documents stratégiques (25 mesures du 25 novembre 2017 pour lutter contre les violences faites aux femmes annoncées par le Président de la République, 40 mesures du comité interministériel à l’égalité entre les femmes et les hommes du 8 mars 2018; 46 mesures du Grenelle des violences conjugales du 25 novembre 2019 complétées par la suite par huit mesures; du plan de lutte contre les mutilations sexuelles féminines de 2019, d’une convention interministérielle à l’égalité entre les filles et les garçons, les femmes et les hommes dans le système éducatif 2019-2024, entre autres, ces feuilles de route n’ont visiblement pas donné les résultats escomptés.

Certes, les services de l’État centraux et territoriaux ont renforcé leur mobilisation et les moyens budgétaires, les crédits du programme budgétaire Égalité entre les hommes et les femmes étant passés de 29,1 M€ en 2018 à 53,2 M€ en 2022. Toutefois, le service des droits des femmes et de l’égalité, et ses relais territoriaux, n’est pas en mesure d’imposer à l’ensemble des ministères concernés de progresser dans la mise en œuvre des actions attendues.

Par ailleurs, les dispositions annoncées n’ont pas été déployées de façon harmonisée dans les ministères et les territoires.

Plus généralement, les sages estiment que l’exigence d’une évaluation des actions menées n’est pas suffisamment considérée par l’ensemble des acteurs qui contribuent à sa mise en œuvre, qu’il s’agisse des services de l’État mais surtout des associations qu’il finance.

S’agissant de la lutte contre les violences conjugales, des mesures ont bien été déployées en matière de protection des victimes (cadre législatif étoffé, dispositifs d’écoute et d’accompagnement renforcés, téléphones grand danger distribués, nombre de places d’hébergement d’urgence augmenté, etc .) comme de prise en charge (création de centres de prise en charge des auteurs de violences conjugales, ports de bracelets anti-rapprochement prononcés, etc .)
Il est toutefois précisé que certaines se réfèrent à une cible dont le niveau ne résulte pas d’une analyse des besoins (places d’hébergement, bracelets anti-rapprochement).
Le rapport souligne également que d’autres priorités méritent d’être mieux évaluées au regard de leurs effets en dehors des moyens mobilisés (effet des formations des forces de l’ordre sur l’amélioration de l’accueil des victimes, fluidité des parcours des femmes victimes de violences) .
Par ailleurs, les mesures nécessitant un investissement dans la durée pour faire évoluer les mentalités, comme celles relatives à la prévention axée sur l’éducation, ont été peu mises en œuvre .

Concernant les mesures relatives à l’égalité entre les hommes et les femmes dans le monde du travail prévues par le comité interministériel à l’égalité entre les femmes et les hommes du 8 mars 2018, les sages jugent que leur effet n’est pas forcément perceptible, en raison de leurs délais de mise en œuvre et parfois de leur complexité, même si des progrès ont été enregistrés dans le secteur public.

Dans le secteur privé, les sages reconnaissent que l’égalité professionnelle a surtout été envisagée sous l’angle des inégalités salariales et que le ministère chargé du travail s’est surtout mobilisé sur la mise en place de l’index sur l’égalité des rémunérations.
Ils déplorent néanmoins une ambition moindre en matière de lutte contre les causes plus structurantes d’inégalités, comme la mixité des filières de formation ou des métiers, qui nécessitent des changements socio-culturels en matière de responsabilités parentales, d’orientations professionnelles et de valorisation de certaines compétences .
Quoiqu’il en soit, les progrès dans la réduction des inégalités sont lents, malgré un arsenal législatif croissant depuis plusieurs décennies

Les sages évoquent le nouveau plan interministériel pour l’égalité entre les femmes et les hommes 2023-2027, que l’État a annoncé le 8 mars 2023.
Si certaines mesures prennent acte de la nécessité d’une vision plus englobante de la politique de l’égalité, comme l’illustre l’introduction d’un objectif d’égalité professionnelle dans l’évaluation annuelle des directeurs des services de l’État, ces annonces de principe censées répondre à des besoins encore mal identifiés restent vagues.

Au vu des reproches formulés par les sages de la Cour des Comptes, plusieurs recommandations destinées à pallier les problèmes rencontrés méritent d’être reproduites in extenso :

1.Décliner le nouveau plan interministériel pour l’égalité entre les femmes et les hommes 2023-2027 en une feuille de route mesurable et évaluable (moyens, calendriers, indicateurs, résultats, cibles) faisant l’objet d’un calendrier de suivi interministériel effectif (ministère chargé de l’égalité entre les femmes et les hommes)

2.Concevoir un programme interministériel d’évaluation des actions menées par l’État et par les organismes financés par lui (ministère chargé de l’égalité entre les femmes et les hommes)

3.Redéfinir les missions du service des droits des femmes et de son réseau autour des quatre activités suivantes : l’élaboration, le suivi et l’évaluation de la feuille de route interministérielle ; le suivi de la mise en œuvre et l’évaluation systématique de toutes les actions financées par le programme budgétaire Égalité entre les femmes et les hommes ; la production de connaissances et d’outils méthodologiques ; l’animation des réseaux (ministère chargé de l’égalité entre les femmes et les hommes)

4.Intégrer les missions relatives à la lutte contre les violences faites aux femmes de la mission interministérielle pour la protection des femmes contre les violences et la lutte contre la traite des êtres humains (Miprof) au service des droits des femmes et de l’égalité entre les femmes et les hommes (SDFE), ainsi que les effectifs correspondants (ministère chargé de l’égalité entre les femmes et les hommes.

5.Renforcer la collecte de données, par le service des droits des femmes et les ministères, relatives aux diagnostics des situations et des besoins, et à l’évaluation des mesures déployées (ministère chargé de l’égalité entre les femmes et les hommes)

6.Veiller à la nomination de référents égalité au sein de chaque service déconcentré de l’État, compétents à la fois sur le volet des ressources humaines et sur celui des politiques portées par leur ministère, disposant du temps nécessaire à cette mission, et faire de cette fonction un objectif d’évaluation annuelle (ministère chargé de l’égalité entre les femmes et les hommes)Recommandation spécifique aux mesures de lutte contre les violences faites aux femmes

7.Étudier, avant la fin du premier semestre 2024, sur la base d’un échantillon, les parcours d’accompagnement des femmes victimes de violences conjugales, de manière à améliorer la qualité et la lisibilité de la prise en charge (ministère chargé de l’égalité entre les femmes et les hommes, ministère de l’intérieur et des Outre-mer, ministère de la justice, ministère chargé de la ville et du logement).

Pour en savoir plus, Women eLife recommande la lecture du rapport de 75 pages.

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